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Buisson ardent

Tout le reste n’est que littérature. Non, je n’ai jamais bien compris cette expression. Je me demande d’ailleurs ce qu’une IA future ferait d’un tel énoncé? La littérature y est synonyme du reste : un iota, un impondérable, hantant le calcul d’une narration trop assurée, trop linéaire. En fait, la phrase, en ouvrant à tout le reste, nous plonge au cœur d’un nuage d’inconnaissance. Les amoureux de l’IA rêvent d’une intelligence ambiante, une opalescence hantant le fond de l’air, et colorant la lumière de nos jours. Le réseau, grâce à l’ennuagement des données — le cloud computing — deviendrait un état du climat, le site d’une intelligence massivement distribuée, un compagnonnage secret, qui s’active invisiblement autour de nous, comme les anges ou les fées d’autrefois.

Reconnaître c’est trouver ce qui reste, en mémoire, de ce qui fut. Les mots aussi sont artifices, et pour les esprits sensibles à leur intelligence, l’avenir est une pensée qui tourne dans tous les sens, et porte rêveusement à confusion. La formule futuriste, reconnaissance des formes, qui a canalisé mon attention, est, à bien y penser, vieille comme le monde, ou au moins comme la pensée platonicienne, qui nommait ainsi la redécouverte, en soi, d’un accord spirituel avec les idéalités. Celles-ci s’imposeraient à la mémoire du philosophe, leurs contours se précisant, perçant à travers le brouillard de la perception, avant de se résorber dans les tréfonds de l’âme.

Les échos des mots ont vite fait de replonger les esprits sensibles dans la nuit des temps, à la recherche des racines de leur intuition. Le Robert Historique m’assure que le moyen français s’appliquait à recognoistre ce qu’aujourd’hui nous reconnaissons. J’entends, dans le cog, l’engrenage qui habite le radical du mot, l’évidente parenté de la reconnaissance et de la « cognition ». Ce terme savant, si cher aux pionniers de l’IA, ainsi qu’à toute une théorie de psychologues, linguistes et neurobiologistes, est d’une futurité brûlante. Les plus philosophes d’entre les cognitivistes tentent de nouer à un tronc commun ces savoirs appliqués et partiels, tressant les ramages de l’empirie pour nous convaincre que nos consciences sont l’irradiation d’une sorte d’engin à computation interne. Le bouquet de processus par lequel l’efflorescence de nos systèmes nerveux s’accorde aux mouvements du monde, m’a toujours semblé, malgré la rigueur des arguments convoqués pour m’assurer de son absolue nouveauté, comme une version techniciste de l’âme — une sorte de retour au buisson ardent, et d’intériorisation de son feu. Il me semble en effet que c’est une métaphysique du présent absolu que défendent corps et âme les fervents de la computation universelle.

Une théorie des fantômes en vaut-elle une autre? Nos machines, malgré la célérité de leurs microprocesseurs, et le brouillard numineux du réseau, sont encore dans l’enfance de l’art. Nous leur donnons, depuis leurs débuts dans la vie, le bénéfice du doute. Nous les nimbons d’une lumière d’avenir, qui remonte à la nuit des temps. Nous les aimons d’un amour qui n’est pas, ou plus, ou peut-être pas encore, de ce monde. Elles ont tellement besoin de nous pour entretenir leurs illusions.


L'arbre de la vie dessiné par Darwin
© photo : Live Science, 2017


From so simple a beginning endless forms most beautiful and most wonderful have been, and are being, evolved.
D’un début simple, des formes sans fin, vraies beautés, vraies merveilles, en sont venues, et viendront, à évoluer.

— Charles Darwin, The Origin of Species, 1859










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